Quelle variété de café est produit en Côte d’Ivoire, comment est-il perçu dans le monde et comment peut-il profiter aux paysans ? Dans cet entretien, Dr Dénis Seudieu, Économiste en chef à l’Organisation internationale de café à Londres et chargé de la recherche du marché de café et des projets de développement de l’économie caféière, donne des éléments de réponse.
Dr Denis Seudieu, vous êtes un expert international en café, vous êtes donc au parfum de tout ce qui concerne ce produit. Quel est le regard que porte l’extérieur sur le café ivoirien ?
En termes de volume de production, la Côte d’ivoire a dominé la scène mondiale du café pendant de nombreuses années jusqu’au début des années 2000. Le pays produisait en moyenne entre 250 000 et 4 00 000 tonnes, occupant la première place des producteurs africains et se situait parmi les 5 premiers producteurs au monde. Cependant, suite à la baisse drastique et continue des prix mondiaux du café et les nombreuses crises sociaux-politiques en Côte d’Ivoire, la production est tombée au-dessous de la barre de 100 000 tonnes et le pays occupe désormais la troisième place en Afrique derrière l’Ethiopie et l’Ouganda. En conséquence, l’origine Cote d’Ivoire a perdu une bonne part de son marché traditionnel de l’Europe de l’Ouest. Cependant, la structure en charge de la mise en œuvre de la politique caféière du pays (Conseil Café-Cacao) a commencé la mise en œuvre de la stratégie du développement du secteur caféier qui tient largement compte de l’ensemble de la chaine de valeur, notamment la promotion de la transformation locale pour créer davantage de valeur ajoutée.
Le café est jusque-là considéré comme l’une des mamelles de l’économie ivoirienne, est-ce que sa commercialisation est toujours aussi porteuse qu’on le croit ?
« La Cote d’Ivoire, c’est l’agriculture, et cela quel que soit l’angle sous lequel on se place » pour paraphraser le ministre Abdoulaye Sawadogo, l’un des illustres pionniers de la mise en œuvre de la politique agricole du président Houphouët-Boigny. Le Café est le premier produit agricole dont l’exploitation et la commercialisation ont généré d’importantes ressources qui ont servi à développer les autres produits agricoles dont le cacao, l’hévéa, etc… Vous convenez avec moi que même si pour des raisons évoquées plus haut son rôle a diminué par rapport au cacao, le café reste une importante mamelle de l’économie ivoirienne. Sur le plan régional, le café est une importante ressource pour les régions de l’Ouest qui sont des zones favorables à la culture du café.
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Très souvent dans le pays, il y a des plaintes sur le prix du café fixé par le Gouvernement. Comment décide-t-on les prix et est-ce que ceux fixés en Côte d’Ivoire sont justes ?
Vous voulez parler du prix bord-champ ? c’est-à-dire le prix de référence autorisé par le Gouvernement et mise en œuvre par le Conseil Café-cacao. Ce prix de référence est basé sur une moyenne à partir des prix mondiaux du café robusta déterminés sur le marché à terme de Londres. Je préfère vous épargner des détails techniques. Les prix sur le marché terme de Londres varient toutes les heures, tous les jours et même d’un mois à l’autre. Certains pays dont la Cote d’Ivoire ont choisi de protéger leurs petits producteurs contre ces fluctuations onéreuses en servant de tampon entre le marché mondial et les producteurs. Je ne pense pas que nos parents producteurs de l’ouest pourront comprendre que leur kg de café se vende aujourd’hui 22 mai à 1000 FCFA contre 600 FCFA hier et probablement 700 FCFA demain. C’est cela les fluctuations du marché. Les grands producteurs individuels peuvent avoir les moyens de se couvrir contre ce type de risque de volatilité des prix mais les petits producteurs du Tonkpi, Cavally ou du Guémon n’auront pas les ressources nécessaires pour se couvrir. Aussi, en Côte d’Ivoire, le Conseil Café-Cacao à travers le prix de référence assure cette protection. Ce prix bord-champ est le prix minimum autorisé pour l’achat du kg de café aux producteurs. L’acheteur peut payer plus en raison de la qualité du produit ou des relations particulières avec le producteur mais pas en dessous de cette référence.
Il y a eu de nombreux cas où le niveau des prix mondiaux baisse et ne permettait pas de maintenir le prix de référence garanti par le Conseil Café-cacao. Mais le Gouvernement autorise le Conseil à subventionner pour maintenir le prix de référence et encourager ainsi les producteurs à avoir un revenu décent. Voici donc la réalité des prix. Pour juger si un niveau de prix est faible pour le paysan il faut pousser l’analyse pour intégrer toutes les variables qui rentrent en compte dans la détermination de ce prix bord-champ et surtout établir un ratio entre le prix mondial et celui payé aux producteurs non seulement en Côte d’Ivoire mais également dans les autres pays producteurs.
Le kg de café à 1 000 FCFA et plus est-il possible en Côte d’Ivoire ?
Le kg de café vert marchand à 1000 FCFA et plus est possible car tout dépend du marché mondial et des couts intermédiaires. Faisons un calcul simple : le cours du marché à terme de Londres qui détermine le prix du café Robusta que produit la cote d’Ivoire. Le 19 mai 2023, le marché de Londres (Avril-Mai 2023) donne 1651 FCFA le kg de café vert. Le prix garanti Conseil Café-Cacao après déduction des couts intermédiaires de commercialisation, est de 750 FCFA le kg, soit environ 45% du prix mondial déterminé par Londres. Si le prix mondial passait à 2210 FCFA le kg, en gardant les couts intermédiaires actuels, le prix garanti au producteur serait de 1003 FCFA le kg, soit 45% du prix mondial.
La deuxième possibilité d’avoir un prix garanti au-dessus de 1000F le kg est la situation où les couts intermédiaires diminuent lorsque les coopératives de producteurs deviennent si efficaces pour réduire les intermédiaires.
La troisième opportunité d’avoir un prix-producteur élevé est la transformation locale du café pour la consommation nationale et celle de la sous-région. Ceci va occasionner une concurrence entre deux marchés pour la vente du café vert des producteurs : les acheteurs pour l’exportation du café vert et les industries de transformation locale.
Dr Seudieu, vous avez développé récemment au cours d’une édition du festival Tonkpi Nihidaley, le concept de café des montagnes. Qu’est-ce que c’est ?
Au festival Nihidaley, j’ai eu le privilège de représenter l’Organisation internationale du Café pour prononcer une conférence sur le thème de la transformation du café dans la stratégie de développement économique d’un pays en général, et du Tonkpi en particulier. Le concept de café des montagnes n’est pas de mon essor. C’est une initiative de la Fédération des producteurs de café du Tonkpi dont le premier responsable est Monsieur Bamba Sahi. L’objectif est de créer un label ou une appellation contrôlée des cafés produits dans la zone montagneuse afin de bénéficier de la plus-value sur les marchés de niche ou des cafés spécifiques selon les indicateurs géographiques.
Le café des montagnes est-il différent des autres variétés de café ? Si oui, quelle est sa spécificité ?
En 2004, j’ai apporté un projet dans le cadre de mon travail á l’Organisation internationale du Café. Il s’agissait de développer le concept de terroirs comme il en existe dans le secteur du vin en France (Vin de Bordeau, Cote du Rhône, etc…). Comme le vin, le gout du café est lié á des facteurs naturels que sont les sols, le climat, la région de production, altitudes, pluviométrie, etc. 4 zones de production avaient été sélectionnées pour le projet test (Abengourou, Aboisso, Divo et Man). Les cafés récoltés ont été envoyés chez différents torréfacteurs et experts en Europe pour évaluation. Les cafés d’une même zone avaient des caractéristiques identiques (gout, arome, qualité). Un catalogue du Robusta renfermant les caractéristiques de la qualité ainsi que les caractérisations des terroirs et servant de référence en matière de commercialisation ont été établis. Aussi, le café des montagnes a-t-il été identifié comme le meilleur café robusta de Côte d’Ivoire en raison des hauteurs élevées des zones de production. Car l’altitude est un facteur naturel important de la qualité du café. C’est ce qui fait la différence avec les autres cafés. En labelisant ce café, c’est chercher á valoriser cette qualité intrinsèque du café des montagnes et obtenir des primes.
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Le café des montagnes est-il une mine d’or sur laquelle est assis le peuple ouest montagneux de la Cote d’Ivoire ? Si oui comment est-ce que le producteur de cette partie du pays peut-il en profiter du point de vue financier ?
Ça serait exagéré de parler d’une mine d’or. L’objectif visé par la Fédération est de rentrer sur le marché des cafés de spécialité pour bénéficier des prix élevés que ceux des cafés ordinaires. Cela est possible si le système de commercialisation permet de séparer ce café des autres cafés sur le marché national et international. Donc la force commerciale des organisations de producteurs de cette région sera déterminante pour y parvenir.
Dr, vous avez mis sur le marché un produit de consommation. “A-DAN” est le nom. C’est en quelle langue et que signifie cette expression ?
Le café A-Dan est le café torréfié venant de ma propre plantation de café au village dans la région du Tonkpi. L’expression A-Dan en langue DAN ou Yacouba veut dire « GOUTTE-LE ». Je voulais ainsi donner l’exemple aux frères et sœurs en créant cette plantation. Avec des amis, nous avons entrepris de montrer qu’il est possible de transformer son propre café produit dans des conditions optimales prescrites par le Centre de Recherche Agronomique et l’équipe de vulgarisation, ANADER. Ce café donne un gout particulier proche des cafés Arabica en raison des traitements post-récolte appropriés. Le Café A-Dan a eu le troisième prix au concours international des cafés torréfiés à l’origine à Paris en 2019. La société qui transforme et met en vente ce café est la Société des Torréfacteurs Experts d’Abidjan (STEA) basée á Abidjan-Treichville. L’autre type de café transformé et vendu par la même société est le « Tominon », issu du terroir du centre du pays (Yamoussoukro).
“A-DAN” comprend combien de produits et comment se comporte-t-il sur le marché ?
Le café A-DAN se vend sous 4 formes de produit : A-Dan moulu paquet de 250 grammes (2500 FCFA) ; A-Dan Grain de 250 grammes (2500 FCFA) ; A-Dan capsule pour machine espresso (3500 FCFA) et A-Dan sachets de thé, 20 sachets (2200 FCFA). Nous sommes en pleine phase de lancement donc il est encore trop tôt pour connaitre les tendances du marché.
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A quoi doit s’attendre le consommateur en achetant “A-DAN”, ensuite où et comment se procurer ces produits ?
Comme je l’ai mentionné plus haut, c’est un partenariat avec plusieurs amis pour jouer notre partition dans la réalisation des recommandations du Gouvernement de nous impliquer dans la transformation de nos matières premières pour générer davantage de plus-value. Nous attendons les soutiens des consommateurs à travers leurs observations sur nos différents produits et également des suggestions car notre rêve est que le secteur privé ivoirien arrive à transformer localement la grande partie de nos matières premières avant l’exportation. Outre le siège de la société à Treichville avenue 24, rue 38, nos points de ventes sont le centre commercial COSMOS de Yopougon, le Centre commercial PLAYCE Marcory en ace du supermarché carrefour. La vente en France est pour le moment faite par le magasin « Direct d’Abidjan dans la ville de Maubeuge. La vente sur Amazon est en cours de finalisation.
Dr Seudieu, ouestmedia.ci est un organe de presse naissant qui a pour ligne éditoriale de traiter en priorité les informations qui ont lien avec le District autonome des Montagnes. Donc informations des régions du Cavally, du Guémon et du Tonkpi. Quelle appréciation faites-vous de cette initiative ?
Je me réjouis de cette initiative et je vous encourage à persévérer. Vous êtes en train de créer des courroies de transmission des informations utiles pour nos populations. Je soutiens par nature toute initiative qui contribue au développement de nos communautés. Il faut éviter de livrer des informations partisanes mais se concentrer sur des informations utiles qui feront avancer nos communautés vers le bien-être économique et social.
Réalisé par OM – 05/23
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