La pratique devient presque banale, tellement elle est rentrée dans les habitudes. À Man la capitale du Tonkpi, la plupart des taxis communaux roulent avec du gaz butane comme carburant. Si le phénomène a eu un début timide dans la capitale du District Autonome des Montagnes, le fait est aujourd’hui inquiétant, a constaté sur place ouestmedia.ci qui publie ici la première partie de son article sur la question.
Mercredi 11 août 2023. Nous sommes au quartier Gbêpleu à Man. Pour un rendez-vous important, nous devons nous rendre à la cathédrale, de l’autre côté de la ville. Pour y aller, comme le font presque tous habitants de ce chef-lieu de région, nous arrêtons un taxi communal. Dans le véhicule, une odeur suffocante attire notre attention. Notre gêne est très vite perçue par le conducteur. D’un air naturel, il réagit.
« C’est ma bouteille de gaz butane qui sent ainsi. Je viens de la recharger car je roule avec du gaz butane. C’est ce que nous faisons à Man », révèle à ouestmedia.ci, Mouna Sadia, le conducteur.
Il ajoute que la pratique lui a été conseillée par ses amis conducteurs de taxis venus de Daloa dans la région du Haut Sassandra. Ce serait pour des raisons économiques.
« Ils nous ont expliqué qu’il était économique de rouler au gaz butane et nous ont rassuré que ce phénomène pouvait être bénéfique pour notre recette. C’est ce que nous faisons », confie-t-il.
« Vous savez, quand on prend le carburant à la pompe, le prix varie entre 13 000 et 15 000 FCFA, voire 17 000 FCFA par jour. À cela s’ajoute, la recette de 13 000 à 15 000 FCFA pour le propriétaire du taxi communal. Ce qui fait que nous autres les chauffeurs de taxis communaux, nous nous retrouvons à la descente sans un rond. Il nous arrive parfois de compléter la recette à cause du carburant. C’est comme ça, que j’ai décidé de prendre le gaz butane à la place du carburant. Trois fois par jour je recharge ma bouteille. Cela revient à 7 500 FCFA pour la journée. A raison de 2 500 FCFA par bouteille. Un bénéfice de plus de 7 500 FCFA qui peut servir à autre chose », précise notre conducteur.
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La pratique est pourtant dangereuse. Il le sait. Mais face aux gains engrangés, il préfère prendre le risque.
« Nous savons qu’il y un danger, mais on s’en remet à Dieu. Certains taxis ont déjà pris feu sans causer de dégâts matériels dans la ville », soutient Mouna Sadia.
Rouler au gaz butane, Mouna Sadia le fait depuis plusieurs mois. Il n’est pas le seul à utiliser cette substance en remplacement de carburant. À Man, presque tous les conducteurs de taxis communaux le font. Pour le même motif du coût du carburant à la pompe. Le phénomène est vu de tous. Y compris des autorités. Mais ne semble pas émouvoir. À en croire notre conducteur, aucun contrôle routier ne se fait à ce sujet. Le plus important croit-il, serait la vérification des patentes et le paiement de diverses taxes.
Ouestmedia.ci apprend en outre que l’utilisation du gaz butane en remplacement de carburant normal, est même imposée aux propriétaires des véhicules.
« Si un propriétaire n’est pas d’accord pour l’utilisation du gaz butane, il lui sera difficile d’avoir un chauffeur pour son véhicule », nous confie un autre conducteur sous le couvert de l’anonymat.
Si certains se plaisent dans cette situation, d’autres par contre la condamnent. C’est le cas de Diomandé Abou. Pour lui, la pratique est suicidaire pour le conducteur et ses clients.
« Je préfère rouler avec mon gasoil au lieu de prendre des risques. À la moindre erreur, tout part en fumée. Et ce, pour économiser combien ? Je ne peux pas non plus mettre la vie de mes clients en péril sous le prétexte de gagner de l’argent. Je roule et je m’en sors avec ce que je gagne », indique-t-il à ouestmedia.ci.
Une pratique illégale et dangereuse
Pour l’heure et comme constaté sur place, la pratique continue à Man. Les habitants, eux, ne l’apprécient pas.
« Je suis contre cette pratique. Tout le monde connaît la dangerosité du gaz butane. Les conducteurs et les passagers sont parfois en train de fumer, minimisant le risque d’incendie que cela pourrait provoquer. D’autres utilisent leurs téléphones portables pour communiquer dans les véhicules. Ces actes sont en déphasage avec l’utilisation du gaz butane. À tout moment, un incendie peut se déclarer. Nous sommes des calcinés en sursis, nous qui montons dans ces taxis qui roulent à gaz butane. En voulant faire des économies, on peut tout perdre en un battement de cils », fait remarquer à ouestmedia.ci, Dan Emmanuel, un habitant.
Il soutient que depuis que le phénomène a pris de l’ampleur, il évite les taxis. Il préfère se déplacer à moto ou dans son véhicule de service.
« Non seulement ils sont dans l’illégalité totale, mais ils nous exposent doublement comme si nos vies ne leur disaient rien. Ils roulent à tombeau ouvert et avec des cigarettes, téléphones au volant sans être inquiétés », se désole Dan Emmanuel.
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Pour lui, il urge d’agir maintenant avant que le pire n’arrive. Cela passe par la fermeture des lieux de recharge de gaz et en réduisant le coût du carburant, dit-il.
« Nous ne nous sentons pas en sécurité chaque fois que nous montons dans ces taxis. C’est avec la peur au ventre que faisons recours à eux pour faire des courses. Il n’y a pas longtemps lors d’un rechargement, un accident est survenu. Il y a eu un mort. C’est une pratique malheureusement en plein essor. Pour de l’argent on fait fi de nos vies », renchérit Rachelle Yaké, une commerçante à Man.
Pour elle, cette situation interpelle tous les usagers car si rien n’est fait plusieurs dégâts se produiront et chacun assumera sa part de responsabilité.
« Les autorités policières devraient mettre fin à ce problème. Il faut qu’elles passent à la phase de la répression avant que des situations graves ne se produisent », souhaite Mahan Modeste, un étudiant.
A lire dans la prochaine partie
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Ashley Oulaï à Man
OM – 07/23
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