Vivre dans le Gouroussé, un canton du département de Danané dans la région du Tonkpi, n’est pas aisé. L’accès à cette partie de la Côte d’Ivoire est dans un état de dégradation très avancé. Et cela impacte le quotidien des habitants. Dans cet entretien, Domi Singo, fils de ce canton, par ailleurs président de la Mutuelle de développement de la sous-préfecture de Daleu, parle de cette situation sans faux-fuyant. Il lance également un SOS.
Qui est Domi Singo et d’où vient-il ?
Je suis fils de Daleu, chef-lieu de la sous-préfecture de Daleu. Domi Singo est le président de la MUDEDA, la Mutuelle de développement de la sous-préfecture de Daleu. Voilà en gros qui est Domi Singo.
Le 7 août 2024 vous étiez dans le village de Bleupleu où vous avez pris part à certaines activités. De quoi s’agissait-il exactement ?
C’était à la faveur de la fête d’indépendance 2024 dans la sous-préfecture de Daleu. Le sous-préfet monsieur Mel Jean-Paul, a voulu que la fête d’indépendance soit tournante. Donc après Daleu, il y a eu Zoupleu après Guizreu. L’année dernière, la fête n’a pas eu lieu à Bleupleu pour des raisons du décès du président Henri Konan Bédié. Cette année donc, la fête a eu lieu à Bleupleu. À l’occasion, le sous-préfet a demandé qu’il y ait des activités qui meublent la fête. Donc les 5 et 6 août, j’ai été sollicité par le sous-préfet ainsi que des jeunes qui ont initié des activités sportives, notamment du football. Il s’agissait d’un tournoi de l’indépendance doté du trophée Domi Singo et d’un tournoi de Maracana. Ils m’ont choisi comme parrain. Ces jeunes ont aussi demandé qu’on fasse la promotion de l’excellence en milieu scolaire en récompensant les meilleurs élèves de la sous-préfecture de Daleu. Notamment les premiers des promotions du CP à l’entrée en 6e. Le collège moderne de Daleu qui est le premier dans la région dans le Tonkpi aux examens scolaires passés était aussi inclus dans cette dernière activité. Il fallait récompenser les 10 meilleurs de cette première promotion. J’étais donc le parrain du gala de l’indépendance, des tournois de football et de la récompense des meilleurs élèves de la sous-préfecture de Daleu. C’est ce que nous avons fait les 5, 6 et le 7 août 2024 à Bleupleu.
Récompense des meilleurs élèves et des meilleures équipes… l’épanouissement de la jeunesse et au-delà, le bien-être de la population de cette partie de la Côte d’Ivoire vous préoccupe tant ?
Oui. Vous savez avant de devenir doyen comme on le dit, nous avons aussi été jeunes. Dans les années 90, on n’avait pas de devanciers pour nous guider. Mais nous nous sommes rendus compte avec les rencontres des autres peuples de la Côte d’Ivoire notamment ceux du Sud, que la jeunesse est au centre de tout. Et quand la jeunesse est épanouie, elle se démarque de beaucoup de mauvaises choses. C’est quand la jeunesse n’est pas épanouie qu’elle s’adonne à beaucoup de vices qui malheureusement, l’affectent. Dans la sous-préfecture de Daleu donc, la jeunesse me tient beaucoup à cœur parce que c’est une force et c’est la relève. En outre, la sous-préfecture de Daleu est une zone frontalière. Nos derniers villages sont à 1,2 km de la Guinée. Dans les frontières, tout est possible. Alors il faut mettre les jeunes au premier plan de tout bon projet. C’est de cette façon qu’ils peuvent participer au développement. Pour moi, le développement est d’abord humain. Quand les jeunes sont épanouis, ils sont à l’aise. Ils peuvent participer à beaucoup de travaux qui vont faire progresser les choses dans la zone.
Jusqu’où êtes-vous prêt à aller pour apporter le bien-être à la sous-préfecture de Daleu dont vous êtes natif ?
La seule façon pour moi d’aider les jeunes est de les former. Il faut faire en sorte que ces jeunes-là aient de la connaissance et une occupation saine. C’est pourquoi beaucoup de projets existent. De façon particulière je me suis lancé dans l’exploitation artisanale de l’or. Je suis présentement en train d’achever les démarches administratives dans le sens de la création d’une entreprise. Je sais que quand les mines vont commencer à produire, la jeunesse aura du travail et sera donc sainement occupée. Il est évident qu’à seul je ne peux pas résorber le problème de chômage de la jeunesse. Mais au moins, il faut commencer.
Un poste électif pourrai- il par exemple vous faciliter la tâche dans l’atteinte de cet objectif ? Autrement dit qu’est-ce qui fait courir Domi Singo ?
Mon souhait est que Daleu soit érigé en commune. Si cela est réalisé, on appréciera. Pour nous qui avons eu la chance de découvrir et de vivre dans de nombreuses autres localités, nous avons beaucoup appris. Quand tu as appris ce qui est bon chez les autres il faut pouvoir mettre en pratique chez soi. Si donc l’occasion se présente, on verra.
Daleu fait partie d’un grand canton, le canton Gouroussé dans le département de Danané. Mais vous n’avez de cesse de le dire, c’est une localité dont l’accès est difficile. De quoi s’agit-il exactement ?
Chaque fois que j’aborde cette question d’accès au canton Gouroussé, j’ai presque des larmes aux yeux. Il n’y a véritablement pas de route d’accès à canton. Tout est extrêmement dégradé. Quand le président Houphouët-Boigny était encore là et qu’il y avait les TP, la route était régulièrement reprofilée. De Danané à Zoupleu, on pouvait se déplacer en taxi. Le dernier reprofilage a eu lieu dans les années 90 avant la disparition des TP. Depuis, la route a disparu.
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Le Gouroussé compte 24 villages qui se trouvent sur l’axe interdépartemental Danané-Sipilou. Le canton est une zone montagneuse et marécageuse par endroits. Ces dernières années, tout ce qu’on nous annonce comme reprofilage et travaux du tronçon est fait à la hâte. Je me demande si les gens prennent le soin de mener une étude sérieuse et profonde sur cette route. Je m’interroge ainsi parce-que les engagements sont pris devant les autorités administratives comme les préfets, mais le résultat ne suit pas. Pour vous montrer l’ampleur de la situation, je viens de la fête d’indépendance dans la sous-préfecture de Daleu. Je suis parti avec ma voiture, un véhicule de type 4*4. Arrivé à Danané, je ne pouvais pas aller avec mon véhicule à Daleu. J’ai alors garé le véhicule à Danané pour prendre une moto. Mais tenez-vous bien, il y a des zones sur le tronçon où le conducteur de moto est obligé d’appeler des jeunes pour l’aider à transporter la moto moyennant de l’argent afin de continuer le chemin…
Mais des travaux de construction de cette route ont été lancés récemment en présence du maire de Danané Lanciné Diabaté. Qu’est-ce qui ne va pas pour que des mois après, la situation soit celle que vous décrivez ?
Effectivement, des travaux de construction de la route ont été lancés. Mais des mois après, rien n’a évolué. Les machines employées pour le travail sont pratiquement toutes à l’arrêt. La D8 qui doit faire le dégagement est en panne depuis et garée sur la route. Les tracteurs sont en défaillance et stationnés à la sortie de Danané. Le seul dameur utilisé s’est embourbé et ne peut plus bouger. Depuis le mois de février 2024, les machines ne travaillent pas. C’est pourquoi je dis, qu’il n’y a peut-être pas eu d’étude sérieuse. Peut-être que le maire de Danané, un jeune frère qui fait beaucoup pour la localité, s’est laissé avoir par ce que l’entreprise contractante a indiqué pouvoir et savoir-faire. Cette situation de la route a de nombreuses conséquences sur la vie dans cette sous-préfecture. Il y a un dispensaire à Daleu, une maternité aussi. Mais quand la sage-femme veut évacuer une patiente vers l’hôpital général de Danané pour des soins d’urgence, c’est impossible. C’est malheureux le dire, mais quand une telle situation se présente, les populations se mettent déjà en tête qu’il faut préparer les funérailles de la patiente.
Mais pourquoi dites-vous cela ?
Parce qu’ils n’arriveront pas à temps pour sauver la personne car le moyen d’évacuation est une moto. Après un kilomètre ou deux de route, les malades meurent. Et quand c’est ainsi, on ne peut pas ramener le corps au village. On les enterre au bord de la route. Cela est fréquent. Pourtant c’est une route interdépartementale. Il faut régler ce problème. C’est aussi une route frontalière, nous sommes adossés à un pays qui a subi récemment un coup d’État. Nos forces de l’ordre sont souvent obligées de se déplacer à pied pour aller en intervention. J’ai dit lors de la fête de l’indépendance à Bleupleu, qu’il n’y a qu’une seule personne qui peut solutionner notre problème de route. C’est le président de la République Alassane Ouattara. Le président du conseil régional, le ministre Mabri Toikeusse a été honnête avec nous sur le sujet. Il a dit que le Conseil régional fait ce qu’il peut avec les moyens dont il dispose, mais que le problème est grand et que c’est une volonté du chef de l’Etat qui peut réellement résoudre le souci de cette route. Nous nous tournons donc vers le chef de l’État. Nous savons qu’il a une volonté de relier les chefs-lieux de département entre eux par le bitume. Nous le prions de relier Danané et Sipilou parce que cette route traverse le canton Gouroussé.
Le canton Gouroussé est une zone à forte potentialité de production de cacao mais aussi une zone nourricière pour tout le département de Danané. Vous l’avez signifié également tout à l’heure que c’est potentiellement une zone minière. Comment est-ce que les producteurs arrivent à vendre leurs produits vu ces difficultés que vous venez de décrire ?
Voyez-vous, Daleu qui est le chef-lieu de la sous-préfecture est à 34 km de Danané. Dans cette sous-préfecture, le premier village proche de la frontière avec la Guinée, est Guizreu. À moto, on met facilement une heure pour y aller à partir de Daleu. Mais pour aller à Danané à moto, on met plus de 3 heures de temps pour transporter un sac de cacao. Le transport d’un sac de cacao se fait à 20 000 FCFA entre Daleu et Danané. Or pour aller à Guizreu, on transporte le même sac de cacao à 5 000 ou 7 000 FCFA. Tout cela à cause de la dégradation de la route. Voilà la triste réalité à laquelle nos parents sont exposés. C’est aussi cette triste réalité que l’État doit tout faire pour corriger pour éviter la fuite du cacao vers les pays voisins.
Que font les cadres de la sous-préfecture face à cette situation ?
La mutuelle de développement fait des démarches auprès de l’État. C’est en cela que la MUDEDA a rencontré le ministre gouverneur du district autonome des montagnes, Dr Albert Flindé et nous lui avons donné un livre blanc. Nous lui avons dit que chez nous, certes, tout est urgent mais que la priorité c’est la route. Et c’est en cela que le ministre gouverneur nous a rassuré que le bitumage Danané-Sipilou était pris en compte et inscrit dans le PND 2021-2025. Et comme dit plus haut, nous avons aussi rencontré le président du conseil régional pour qu’il nous aide. À la fête de l’indépendance, le sous-préfet avec qui nous travaillons beaucoup nous a dit que le préfet de Danané lui-même a pris à bras le corps le problème de la route du Gouroussé. Et que dans un futur proche, de nouvelles machines viendront faire les travaux de construction de la route. Mais je reste convaincu que c’est le président Alassane Ouattara qui peut agir pour sauver ses parents du Gouroussé qui se meurent.
Monsieur Domi Singo, si vous étiez en face du président de la République Alassane Ouattara et que vous devriez lui parler de votre situation dans le Gouroussé qu’est-ce que vous lui diriez ?
Au président Alassane Ouattara je dirais merci pour ce qu’il a déjà fait parce que sur les 24 villages dans le canton, il y a au moins 8 qui sont déjà électrifiés. Les autres attendent d’être connectés au réseau électrique national car leurs poteaux sont déjà là. C’est parce qu’il n’y a pas de route que ces poteaux ne peuvent être acheminés les villages concernés. Je voudrais lui dire merci pour cela. Il y a un collège moderne à Daleu. Celui de Zoupleu va bientôt ouvrir les portes. Mais je voudrais supplier le président Alassane Ouattara pour lui dire que la priorité des priorités au Gouroussé c’est la route et qu’il n’y a que lui seul qui peut résoudre ce problème. Je le dis en tant Domi Singo, cadre et président de la mutuelle de développement de la sous-préfecture de Daleu. Au nom de mes parents, je lui demande de sauver cette sous-préfecture d’une disparition certaine qui se profile à l’horizon.
Réalisé par Zran Lôh
OM – 8/24
Mail : contact@ouestmedia.ci
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