Comme partout ailleurs dans le monde entier et dans le pays, les effets du réchauffement climatique sont palpables dans la région du Tonkpi dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Pour préserver les ressources naturelles de cette partie du pays, la direction régionale des Eaux et Forêts mène des actions. Il s’agit entre autres de reboisement et de la lutte contre le sciage à façon. Dans cet entretien, le colonel Djan Yapo Evariste, directeur régional des Eaux et Forêts du Tonkpi, tire la sonnette d’alarme et dépeint la situation actuelle de la biodiversité, des ressources en eau, et des forêts locales.
Mon colonel, quel est aujourd’hui l’état des lieux de la forêt dans la région du Tonkpi ?
L’état des lieux de la forêt de la région du Tonkpi est à l’image de la forêt au plan national. La forêt ivoirienne a connu une dégradation significative, passant de 16 millions d’hectares en 1900 à moins de 3 millions aujourd’hui. Cette dégradation est due à plusieurs facteurs anthropiques, notamment l’exploitation forestière clandestine, l’agriculture itinérante, les feux de brousse et les sciages à façon. La région du Tonkpi n’échappe pas à cette triste réalité. Nous avons quelques petits avantages liés à notre relief accidenté, ce qui nous permet de conserver davantage de forêts. Cependant, ces reliefs sont exploités par les scieurs clandestins, et si rien n’est fait d’ici 2050, cela pourrait mener à une catastrophe écologique.
Quelles sont justement les mesures prises depuis votre arrivée en 2018 à Man pour lutter par exemple contre le sciage à façon dans la région ?
Depuis 2018, nous avons fait de la lutte contre le sciage à façon notre bataille pour atténuer le phénomène. Nous pouvons nous féliciter des résultats obtenus. Plusieurs efforts ont été faits, et même les opérateurs du secteur le reconnaissent. Le sciage à façon a baissé dans la région du Tonkpi, grâce à une combinaison de mesures de répression, de sensibilisation et de promotion d’alternatives économiques durables pour les communautés locales.
Plusieurs textes existent pour protéger les ressources naturelles. Vous pouvez nous en citer quelques-uns ?
On peut citer le code forestier qui, à partir de son article 87, sanctionne toutes les activités illégales. Il y a également le code de l’eau, avec la loi numéro 2023-902 du 23 décembre 2023, qui sanctionne les activités illégales concernant les ressources en eau. De plus, le code de la faune, avec la loi numéro 2024-364 du 11 juin 2024, régit la gestion de la faune. Ce code est récent et nous travaillons sur les textes réglementaires pour lever la fermeture de la chasse. La législation classe les espèces en quatre catégories, allant des espèces intégralement protégées aux espèces dont l’exploitation est autorisée mais suivie. Ces lois sont essentielles pour garantir une gestion durable et équitable des ressources naturelles, protégeant ainsi la biodiversité et les moyens de subsistance des communautés locales.
Mon colonel, peut-on connaître quelques sanctions qui sont prévues en cas d’infraction à la législation ?
L’article 91 du code forestier prévoit des sanctions allant de 5 mois à 3 ans de prison et une amende de 2 à 20 millions FCFA pour quiconque coupe, arrache ou détruit sans autorisation des arbres plantés dans le cadre d’un reboisement. L’article 93 et les articles suivants jusqu’à l’article 100 punissent également de 2 mois à 1 an de prison et d’une amende de 300 000 à 1 million FCFA pour les défrichements ou cultures non autorisés dans les zones forestières. Ces sanctions visent à dissuader les activités illégales et à protéger les ressources naturelles. En outre, des mesures de restauration écologique peuvent être imposées aux contrevenants pour réparer les dommages causés.
À Man, nous constatons l’occupation des flancs des montagnes. Pouvez- vous nous en parler ?
Pour nous, les flancs des montagnes sont des zones de protection en raison des risques qu’elles comportent. Depuis notre arrivée dans la région du Tonkpi en 2018, nous avons sensibilisé les populations sur les risques des constructions anarchiques sur les flancs des montagnes. Malheureusement, ce phénomène persiste. C’est une question qui nécessite l’implication de tous les acteurs, y compris les collectivités territoriales, le corps préfectoral, et l’administration de la construction. Actuellement, les populations s’installent souvent sans autorisation, guidées par les chefs coutumiers qui vendent des terres de manière clandestine. Il est crucial de prendre des mesures adéquates pour éviter des pertes humaines potentielles.
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Quelles sont les conséquences des occupations anarchiques des flancs des montagnes ?
La destruction des végétations sur ces flancs entraîne une érosion des sols et expose les populations à des dangers, comme les éboulements. La réglementation interdit l’exploitation des flancs des montagnes car ils stabilisent les sols. Détruire la végétation expose ces zones à l’érosion, ce qui est dangereux pour la stabilité des sols.
En plus de la colonisation des flancs des montagnes, on constate également le phénomène du concassage qui consiste à détacher des blocs entiers de pierre de la montagne pour en faire du gravier. Un commentaire ?
Oui, le concassage de granite est une activité destructrice. Lorsqu’on concasse du granite, on dénature la structure de la roche. Cela commence par la destruction de la végétation, dont les racines soutiennent les blocs rocheux. La dégradation des racines crée des fissures dans les roches, qui s’aggravent avec les infiltrations d’eau et les variations de température. Ces fissures déstabilisent les blocs rocheux, augmentant le risque d’éboulement. Il est essentiel de sensibiliser les populations aux risques liés à cette pratique pour protéger leur vie et l’environnement.
Mon colonel, y-a-t-il un lien entre toutes ces activités que vous citez et le réchauffement climatique ?
Il y a une corrélation étroite entre la destruction des flancs des montagnes et le réchauffement climatique. Les plantes, via la photosynthèse, absorbent le CO2 et libèrent de l’oxygène, équilibrant ainsi l’atmosphère. La destruction des végétations perturbe cet équilibre, contribuant au réchauffement climatique et à l’augmentation des gaz à effet de serre. Le concassage des granites, qui dénature la roche, et la destruction des arbres exacerbent ce problème en libérant du CO2 stocké dans les plantes et le sol, augmentant ainsi la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
Quel est votre message aux populations locales pour protéger les ressources naturelles du Tonkpi ?
Je voudrais inviter chacun à adopter un nouveau comportement, un comportement éco-citoyen, pour que nous puissions vivre en harmonie avec notre nature et assurer un avenir meilleur à nos générations futures. La protection de notre environnement est cruciale pour notre avenir.
Entretien réalisé par Ashley Oulaï à Man
OM – 7/24
Mail : contact@ouestmedia.ci
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