Quelques jours après la démolition d’une partie du quartier de Gesco dans la commune de Yopougon à Abidjan, ouestmedia.ci s’est rendu sur le site. Dans les décombres, des habitants toujours sous le choc ont encore du mal à réaliser ce qui leur arrive.
Ce mercredi 21 février 2024, la jeune Martine s’empresse de retourner vers les gravats. Son bébé de trois ans au dos, elle discute avec des personnes qu’elle reconnaît.
« Moi j’ai déjà déménagé. J’habitais juste à côté de l’école qu’ils ont cassée là (Cha Hélène, NDLR). Ils nous ont dit d’aller prendre nos pièces, ils vont nous dédommager, c’est ce que je vais prendre », explique-t-elle à ouestmedia.ci en quelques mots.
Ce sont des gravats que nous observons en entamant le sous-quartier Pays-Bas de Gesco. Plus de 1000 personnes sont concernées dans cette zone. Le Conseil national des droits de l’Homme a appelé à l’arrêt immédiat de ces opérations de déguerpissements.
Ressortissants du grand Ouest dans le désarroi
Dans la nuit du 19 au 20 février 2024, des engins envoyés par le ministre-gouverneur du district autonome d’Abidjan, Cissé Ibrahim Bacongo, ont procédé à la démolition de logements, de sites éducatifs et commerciaux situés dans le quartier de Yopougon Gesco. Située à l’entrée ouest de la capitale ivoirienne, le quartier de Gesco enregistre plusieurs ressortissants issus de différentes régions de la Côte d’Ivoire.
Pour ce qu’on en sait, le quartier est habité en majorité de ressortissants du grand-Ouest, en l’occurrence, les Wê, les Dan et les Gnanboua.
Marcellin Gbanan, coordonnateur des propriétaires de cours et responsable de deux cours, est originaire de Zoukougbeu, dans la région du Haut-Sassandra, au Centre-Ouest du pays. Il ne sait plus où aller avec sa famille. Son village dit-il, c’est la terre de Gesco.
« Cela fait 35 ans que nous vivons ici. C’est mon père qui a construit la cour. Il y a des familles qui sont là depuis plus de 40 ans et leurs documents l’attestent. Ils ont payé les terrains sur lesquels ils sont installés. On a des documents sur nous et nous vivons ici à la Gesco, on a nos enfants, nos petits-enfants avec nous ici. Il y a même des familles de 30 à 75 membres, parce que ce sont des cours familiales », dit-il, la voix étreinte par l’émotion.
Comme de nombreux responsables de ménages détruits au passage des bulldozers, Gbanan Marcellin ne sait pas où aller.
« Pour le moment, nous dormons sur les ruines de nos maisons, nous ne bougerons pas tant qu’on ne nous a pas dit ce qu’il y a. Nous n’avons pas de village, notre village, c’est notre maison. Si nous allons au village, où allons-nous dormir ? », s’interroge-t-il.
Plus 30 maisons sont passées sous les pelleteuses envoyée par le district d’Abidjan, ainsi que des commerces, des écoles, des centres de santé. Ces personnes rencontrées essaient tant bien que mal de se reconstruire, mais en ayant à l’idée d’être chassées à tout moment.
« Nous dormons juste dans la maison. Quand les Caterpillars vont venir, on va partir », affirme cette dame de plus de cinquante ans, assise derrière son étable de légumes.
Populations surprises par les casses
Zou Ferdinand, originaire de Bangolo, habite le quartier de Gesco depuis 2003. Locataire dans une cour, il a vu sa maison s’effondrer sous le poids des coups donnés par des Caterpillar. Il a déposé ses affaires sous le préau de l’école CHA Hélène, elle aussi été détruite en partie.
« Tu vois la fenêtre qui est là, c’est la fenêtre de ma chambre, voici mes bagages où il y a la bâche noire, je ne sais pas où les mettre. Je dors partout, chez des amis. J’ai envoyé mes enfants chez des parents », nous confie-t-il montrant du doigts des affaires couvertes par une bâche en plastique.
Retournera-t-il à Bangolo, localité d’où il originaire ?
« Le problème est qu’on n’a pas d’argent. En outre on ne sait même pas où aller parce qu’on ne sait pas où on va casser. On est obligé d’attendre d’abord. On a été surpris. Si les conditions ne sont pas remplies, on est obligés de faire un retour au village parce qu’il n’y a pas d’argent, il n’y a rien. Si on nous avait au moins averti », conclut-il.
Dans le district d’Abidjan, ce sont 176 sites qui sont concernés par les démolitions. Ils sont déclarés pour la plupart, zones à risques. Dix autres sites à Gesco également déclarés zones inhabitables pourraient aussi recevoir la visite des bulldozers.
Selon le district d’Abidjan, les quartiers concernés par cette opération de déguerpissement sont ceux exposés à des inondations, des éboulements et glissements de terrain récurrents qui entrainent des pertes en vies humaines à chaque saison des pluies.
À l’issue du conseil des ministres du mercredi 28 février, le chef de l’Etat, sensible à la situation des populations vivant dans ces quartiers, a appelé à faire preuve de solidarité et d’humanisme dans la conduite des opérations d’assainissement des quartiers précaires, afin de préserver la cohésion et la paix sociales dans notre pays.
Kohet à Abidjan
OM-3/24
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